La Gare
de Mycènes

Nouveau centre
du monde

Pour le « Festival Fíchti Art 2022 », était demandée une participation de l’architecture avec en particulier la question des déchets et de leur réemploi. La réponse a étendu la notion de réemploi des déchets à celui de toute chose (ou tout être) obsolète, hors d’usage. Le réemploi est en effet une manière de revivifier, de donner un « nouvel emploi » à ce qui existe et n’est plus « employé ». C’est donc un moyen d’intervenir sur ce qui existe, de le re- dynamiser ou de faire repartir la vie, en ne consommant pas de matière nouvelle, en n’ayant aucun impact environnemental. Idéalement, c’est aussi le moyen d’occasionner une nouvelle vie qui, en elle-même, ne contienne plus le gêne du consommer-jeter mais celui du vivre-recycler.
Cette approche de l’architecture ne vise donc pas seulement la soutenabilité 2 mais l’« auto-soutenabilité 3 », c’est-à-dire un système global qui s’installe et fonctionne naturellement, par le bas (par les usagers et les habitant·es), et non par le haut (imposé et figé par l’architecte ou par la décision politique). Dans le réemploi, l’architecte est un médiateur entre les choses existantes, entre les humains et avec les autres qu’humains (flore et faune) pour conduire à un nouvel écosystème ; son rôle est de produire un ou des impacts conduisant à un système qui se développera par lui-même.
Le résultat est un laboratoire du futur. On verra ci-dessous qu’a peut-être été installé le début d’un « tiers-village 4 », un village qui s’auto-gouverne avec la conscience d’appartenir à une planète qu’il s’agit de préserver pour les générations suivantes.

Le Projet

La Gare de Mycènes

Les voies de chemin de fer dans le Péloponnèse, à voie unique et à écartement métrique, constituaient un anneau de 731 km qui, à partir de Corinthe, mettait en relation toutes les villes de la péninsule (sauf Sparte et Gythio) 5. Le premier tronçon, Corinthe-Argos passant par Mycènes, a été mis en service en 1886. La ligne ferroviaire de Corinthe à Kalamáta, de 236 km, a été refaite en 2004-2009 mais elle a été mise hors service en janvier 2011 6. La gare de Mycènes est donc aujourd’hui à l’abandon.
Sa façade côté quai porte son nom : Μυκηναι en grec (Μυκῆναι - Mykênai en grec ancien) et la prononciation MIKINE en alphabet latin. À son début, la gare permettait aux voyageurs étrangers d’atteindre le site archéologique de Mycènes :

« Là-haut, contre les montagnes grises et désolées qui dressent leurs pointes à 800 mètres, nous entrevoyons Mycènes.
Le train s’arrête devant une petite maison qui a l’honneur d’être la “station de Mycènes”.
Aux environs, la campagne est dépeuplée, les arbres très rares, les champs malingres.
Trompés par la transparence de l’air, nous pensions arriver en quelques minutes, il faut près d’une heure pour gagner le village intermédiaire, Kharvati – à travers ce “pays de la soif”, comme on disait du temps d’Homère. »

Le village de Charváti cité ici a été rebaptisé Mycènes (Μυκήνες - Mykínes) comme la cité d’il y a quatre mille ans et qui a donné son nom à la civilisation mycénienne qui a dominé un temps la Méditerranée orientale. Autour de la gare, s’est développé l’actuel village de Fíchti.

De facture raffinée 8, la gare est un bel exemple des petites gares du xixe siècle :
une façade symétrique dont deux ailes affirmées pour accueillir le public (salle des voyageurs au nord avec un guichet et salle des bagages au sud) et un corps central avec le bureau du chef de gare (ouvrant sur le guichet à l’intérieur) et son logement de fonction (deux pièces en façade et, derrière la salle des bagages, une cuisine et un local de toilette).

L’arrêt des activités ferroviaires semble avoir été précipité. En tout cas, le bureau du chef de gare a été abandonné avec tout ce qu’il contenait : mobilier, ordinateur, archives… Et, bien sûr, en douze ans, le bâtiment isolé le long de la voie ferrée a été visité et utilisé de façon anonyme.
Le premier objectif de l’atelier intensif (du 24 au 26 juillet 2022) était de rétablir la dignité de la gare, de remettre de l’ordre 9. Sauver les papiers d’archive qui étaient éparpillés dans toutes les salles et trier les autres objets, sans rien jeter. Ces fragments de vie étaient autant d’indices permettant de reconstituer l’histoire.

- Les papiers et le matériel de bureau ont été remis dans le bureau du chef de gare.
Leur classement fin et leur étude permettront le travail d’un·e futur·e chercheur·euse.

- Les fragments de l’ordinateur et de l’imprimante ont été ré-assemblés (comme un puzzle) et replacés dans le bureau pour figer le temps et pour faire de cette pièce le musée de la gare, visible de l’extérieur (porte-fenêtre ou guichet).

- D’autres fragments ont aussi été rangés dans le bureau, comme des pièces ferroviaires (clous de traverse de rail…), des pochettes de préservatif trouvées dans le logement du chef de gare, un nid d’abeille, etc. Tous ces indices retracent la vie d’un bâtiment et de son alentour qui ne se limite pas à la dimension technique du train qui passait mais qui a accueilli diverses pratiques (humaines ou non humaines).

C’est ce qui en fait un lieu.

Un lieu digne

Quant aux « déchets », ils n’existent pas. Au xxie siècle, cette notion ne peut plus exister. Dans un lieu digne, on ne produit plus de déchet : d’abord on réutilise (un verre et non un gobelet jetable), ou bien on réemploie (pour construire un nouvel objet et répondre à un nouvel usage) ou, en situation ultime, on recycle.

- Les tessons des vitres brisées sont regroupés au pied de leur fenêtre.
- Des pierres sont assemblées avec de la terre trouvée sur place pour construire un escalier. Des morceaux de palette permettent de construire une structure.
- Des branches d’arbre attendant d’être utilisées (construction d’une hutte ou compostage) sont rangées en tas qui soulignent, en syntonie, le paysage de montagnes voisines.
- Les bouteilles en plastique sont collectées et – si elles ne sont pas réutilisées – rangées dans un enclos pour le recyclage de leur matière.
- En même temps que cet enclos, est préparé sur le site un espace de compost où les habitants pourront déposer leurs déchets végétaux et ainsi produire de l’engrais pour un futur potager.
- L’ancienne cuisine du logement devient une réserve de matériaux pour un futur atelier.
- Les plantes sont protégées de l’inattention humaine.

Un lieu de vie

Après deux jours de travail, les artistes sont arrivé·es et ont apporté leur regard 10. Si chaque oeuvre produite est individuelle, l’ensemble constitue une boucle qui élargit le site de départ et englobe, en plus de la gare proprement dite, la voie ferrée et la pinède au sud. Ces pins ajoutent à la notion de mobilité du train (vitesse) celle de la participation à un monde végétal (lenteur).
Cette boucle constitue non seulement un parcours pour le Festival mais elle est aussi l’occasion pour les habitants de se réapproprier la gare. À l’origine du village de Fíchti, chaque adulte y a en effet des souvenirs, elle est leur organe de connexion avec le reste du monde, que ce soit Athènes ou Nauplie et la plage. La gare de Mycènes signifie Fíchti, elle en est le seul bâtiment public, elle peut en redevenir le bâtiment auquel chacun·e s’identifie et être lieu de rencontres communales.
Avec de nouvelles activités qui se développent, la gare peut devenir un lieu où la communauté débat et prend des décisions pour résister aux crises à venir.
Contrairement au non-lieu comme un aéroport ou un centre commercial, un lieu est « identitaire, relationnel et historique 11 ». Avec de telles qualités de lieu, la gare de Mycènes devient ainsi un centre du monde. Non seulement un monde local mais aussi un monde global :
avec le train retrouvé, on peut atteindre l’Occident et l’Orient et ceux-ci peuvent à nouveau atteindre Mycènes.

Un lieu hospitalier

Porteur d'identité locale

Des graines germent dans le compost.

Après le festival

Des habitant·es commencent à trier verre et plastique pour le recyclage.